Téléexpertise bucco-dentaire en maisons de repos

La téléexpertise bucco-dentaire en institutions pour personnes âgées ou souffrant d’handicap.

La téléexpertise bucco-dentaire est une pratique de télémédecine spécifique à la dentisterie, permettant à un professionnel de la santé bucco-dentaire de consulter, diagnostiquer et conseiller à distance un autre professionnel de la santé sur des cas cliniques complexes ou spécifiques, grâce à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication. Dans notre cadre spécifique de santé bucco-dentaire des personnes dépendantes en institutions ou à domicile, c’est bien le personnel de soins local (médecin, infirmier, professionnels de la revalidation etc…) qui fera la demande de téléexpertise auprès d’un professionnel de la dentisterie, qui lui-même pourrait demander l’avis d’un autre professionnel médical spécialisé.

La téléconsultation s’intègre naturellement dans le parcours de soins en tant que prise en charge thérapeutique et implique une interaction directe avec le patient. Elle se distingue de la téléexpertise, qui consiste en un échange différé entre deux professionnels de santé pour obtenir un avis expert.

En institutions, deux situations bien distinctes semblent être adaptées à la téléexpertise :

  • l’examen bucco-dentaire lors de l’admission d’un nouveau résident :
  • l’examen bucco-dentaire qui accompagne la description d’une plainte bucco-dentaire d’un résident.

Lors de l’examen médical global d’admission, l’état bucco-dentaire d’un nouveau résident peut nécessiter l’avis expert d’un dentiste pour plusieurs raisons : constater la nécessité d’une prise en charge dentaire ou prothétique, orienter vers un protocole d’hygiène bucco-dentaire spécifique (de plus en plus de résidents en maisons de retraite ont des prothèses complexes avec des systèmes d’ancrage sur implants), déterminer la capacité masticatoire du résident et définir les textures alimentaires adaptées, etc. L’avis expert, la recommandation ou la préconisation du dentiste sont particulièrement pertinents dans le cas de douleur – gêne – plainte bucco-dentaire. Dans ces deux cas, l’examen bucco-dentaire étant visuel et effectué par des non professionnels de la dentisterie, une documentation comme l’inclusion d’une grille d’évaluation ou des photographies cliniques, pourra enrichir les données consignées.

La plupart des grilles d’évaluation comportent des items pertinents (mastication, douleur, inflammation gingivale, dents ou prothèses endommagées), mais certains sont difficiles à évaluer sans un apprentissage préalable. De plus, le personnel soignant accorde souvent une faible priorité à la santé bucco-dentaire, et divers facteurs – manque de temps, sensibilisation et formation insuffisantes, comportement non coopératif des patients – compliquent l’évaluation correcte selon les exigences des grilles. Même la section bucco-dentaire actuelle du BelRAI (version adoptée en Belgique et principalement utilisée en Région flamande) présente des lacunes importantes en termes de validité et de fiabilité d’après l’étude complète du Dr Stefanie Krausch-Hofmann. Elle propose des aménagements du BelRAI, notamment l’utilisation de photographies et de formations spécifiques, qui améliorent de manière très significative la précision des évaluations par le personnel de soins.

Le concept des grilles d’évaluation, s’il est bien conçu et correctement mis en œuvre, peut offrir de nombreux avantages en termes de standardisation, objectivité et efficacité. Mais la finalité d’une grille d’évaluation est bien plus importante que le choix du type de grille ou des items qui la composent. Personnellement je prône pour une approche équilibrée, combinant grille d’évaluation et jugement professionnel, qui peut souvent offrir les meilleurs résultats en atténuant la rigidité de la grille par la prise en compte des particularités individuelles et des contextes spécifiques. Je pense que la formation des personnels de soins en matière de santé bucco-dentaire dans les institutions doit emprunter 2 chemins : L’apprentissage des bonnes pratiques d’hygiène buccale et prothétique et l’enseignement clinique d’un examen bucco-dentaire visuel documenté.

La qualité de la documentation de l’examen bucco-dentaire (photographies cliniques standardisées) prend une tout autre importance à l’ère de la télémédecine où applications et logiciels de communication sont sécurisés pour protéger la confidentialité des données des patients.

Le 1er juillet 2024, en Belgique*, l’Assurance maladie a définitivement validé « l’avis téléphonique » du dentiste (en remplacement de la nomenclature provisoire héritée du Covid). C’est un avis certes limité dans la quantité (20 par mois) mais ouvert à toute la patientèle des dentistes. J’appelle ici mes consœurs et confrères à réserver quelques-uns de ces avis d’expert à une collaboration interprofessionnelle avec le personnel de soins des maisons de repos ou d’établissements accueillant des personnes en situation de handicap.

L’amélioration de l’évaluation bucco-dentaire par la téléexpertise bucco-dentaire peut conduire à une meilleure prise en charge des personnes dépendantes, avec des implications positives pour leur santé générale et leur qualité de vie.

Dr Simon Benoliel, DDM

*En France, vient d’être signé l’avenant 1 à la convention dentaire, où entre autres : le texte permet désormais aux dentistes de « pratiquer la télé-expertise bucco-dentaire, pour favoriser le soin des personnes éloignées du système de soins ou présentant des suspicions de pathologies dentaires graves ou rares », indique l’Assurance maladie dans un communiqué. En pratique, les dentistes pourront procéder à des télé-expertises (donner un avis à distance) dans deux cas spécifiques. Ils pourront répondre à des demandes d’établissements d’hébergement pour personnes âgées (Ehpad) et d’établissements accueillant des personnes en situation de handicap mais également solliciter l’avis d’un confrère en cas de suspicion de cancer oral ou de maladies rares.